HUITIÈME ÉDITION
COMPLÈTEMENT REFONDUE ET AUGMENTÉE
PARIS
LIBRAIRIES-IMPRIMERIES RÉUNIES
2, rue Mignon, 2
(Ancienne Maison MOREL)
MAY et MOTTEROZ
Directeurs
Des deux côtés du couloir sont disposées
des salles de garde H voûtées et pouvant contenir des postes
nombreux ; Au-dessus s'élevait un logis à plusieurs étages,
dominant la porte et se reliant à la courtine I. Du couloir d'entrée
on débouchait dans la cour K du château, entourée de
bâtiments appuyés sur les courtines. En L, se trouvaient des
bâtiments de service voûtés à rez-de-chaussée
et surmontés de deux étages ; en M, les appartements d'habitation
à trois étages, du côté où le château
est le moins accessible du dehors, et desservis par le grand escalier M'
; en N, de vastes magasins voûtés à rez-de-chaussée
(celliers), avec caves au-dessous fermées en berceau ogival. Les magasins
N portaient, au premier étage, la grand'salle éclairée
sur les dehors. En O, on voit les soubassements de la chapelle, qui, au premier
étage, se trouvait de plain-pied avec la grand'salle. Les cuisines
étaient très probablement placées en P, avec escalier
particulier P' communiquant aux caves ; elles possédaient une cour
particulière en R, à laquelle on arrivait sous la chapelle,
dont le soubassement, formant rez-de-chaussée, reste à jour.
Les tours, G, D, S, T, possèdent deux étages de caves et trois
étages de salles au-dessus du sol, sans compter l'étage des
combles. Elles sont, comme on le remarquera, très saillantes sur
les courtines, de manière à les bien flanquer. Ces tours,
qui n'ont pas moins de dix-huit mètres de diamètre hors d'oeuvre,
sur trente-cinq mètres environ de hauteur au-dessus du sol extérieur,
ne sont rien auprès du donjon, qui porte trente et un mètres
de diamètre hors d'oeuvre sur soixante-trois mètres depuis
le fond du fossé dallé jusqu'au couronnement. Outre son fossé,
ce donjon possède une enceinte circulaire extérieure, ou chemise,
qui le protège contre les dehors du côté de la baille.
On montait du sol de la cour au chemin de ronde de la chemise par la rampe
V, près de l'entrée du donjon. On communiquait des salles P
(cuisines) avec les dehors au moyen d'un escalier descendant au fond du fossé
de la chemise et par une poterne percée en X, munie de vantaux, de
mâchicoulis et de herses correspondant à une seconde poterne
Y avec pont-levis donnant sur l'escarpement et masquée par la tour
C. Un chemin de ronde inférieur X', voûté en demi-berceau,
percé au niveau du fond du fossé, suit la circonférence
de la chemise ; et était évidemment destiné à
arrêter les travaux des mineurs, comme nos galeries de contre-mine permanentes,
ménagées sous les revêtements des courtines et bastions
Dans ce souterrain, en X", se trouve une source excellente à
fleur de terre, à l'usage de la cuisine. En W, sont des latrines,
prises aux dépens de l'épaisseur du mur de la chemise, pour
les gardes de cette enceinte et les gens de cuisine. En Z était
une cage avec escalier de bois(1)4,
pouvant être détruit facilement, qui mettait le souterrain
inférieur en communication avec le chemin de ronde supérieur.
Le petit escalier Q, donnant dans la salle P, desservait la herse et le
mâchicoulis de la poterne X. Le souterrain inférieur X' se
trouvait encore en communication avec l'escalier U, desservant les ouvrages
supérieurs de la porte. Si l'assiégeant s'était emparé
de la poterne X (ce qui était difficile, puisqu'il fallait franchir
la première porte Y et son pont-levis, traverser le chemin YZ sous
les projectiles lancés de la partie supérieure de la chemise
et du crénelage ouvert sur le mur J, forcer deux vantaux et affronter
un mâchicoulis), il se trouvait en face de la herse donnant sur le
fond du fossé de la chemise, ayant à sa gauche la porte ferrée
qui fermait le bas de l'escalier de la cuisine, et arrêté dans
la galerie inférieure X' par la source X", qui est un véritable
puits dans un souterrain obscur. S'il forçait la herse, il pénétrait
dans le fond du fossé intérieur V', lequel est dallé
et sans communication avec le sol de la cour. Battu par les défenses
supérieures du donjon, qui lui envoyaient des projectiles d'une hauteur
de soixante mètres, et par le chemin de ronde de la courtine, il
était perdu, d'autant que les hommes occupant ce chemin de ronde
pouvaient descendre par l'escalier Z, passer dans la galerie de contre-mine
X', traverser la source sur une planche, et lui couper la retraite en refermant
la porte derrière lui. Si, du fond du fossé extérieur,
il parvenait à miner le pied de la chemise, il trouvait le souterrain
occupé. Ce travail de sape ne pouvait, en aucune façon, affaiblir
les murs de la chemise, car on remarquera que ce souterrain est pris aux dépens
d'un talus, d'un soubassement incliné, derrière lequel la maçonnerie
de la chemise est intacte.
De toutes les défenses du château de Coucy, le donjon
est de beaucoup la plus forte et la mieux traitée. Cette belle construction
mérite une attention toute particulière.. Elle se compose,
à l'intérieur, de trois étages voûtés,
et d'un large chemin de ronde supérieur, avec comble plat au centre,
recouvert autrefois de plomb. Pour entrer dans la salle du rez-de-chaussée,
il fallait franchir un pont à bascule (pont-torneïs) qui,
roulant sur un axe, fermait la porte en se relevant. Les traces de cette
disposition primitive sont encore visibles. Le tablier du pont à bascule
tombait sur une pile isolée, dont on retrouve les premières
assises au milieu du fossé. Le pont abaissé au moyen d'un treuil
placé dans un petit entresol au-dessus de la porte, on était
arrêté par une herse glissant dans deux rainures, derrière
les tableaux de la porte, et par un mâchicoulis. La herse et le mâchicoulis
étaient servis de même par les gens postés dans la pièce
de l'entresol. A la suite de la herse se trouvait une porte à un vantail,
renforcée d'énormes barres rentrant dans l'épaisseur
de la muraille. Pour pénétrer dans la salle ou dans l'escalier,
il fallait encore forcer des portes munies de barres. Il existait même
une grille à l'issue du couloir d'entrée sur la salle, afin
de permettre aux gens du dedans de couvrir de projectiles ceux qui se seraient
aventurés sous ce passage. La salle du rez-de-chaussée est magnifique
; elle se compose de douze côtés, formant chacun une large niche
voûtée en berceau tiers-point.
On observera que ces niches sont doubles en hauteur, formant ainsi
deux rangs de vastes armoires l'un au-dessus de l'autre, très propres
à conserver et ranger avec ordre les projectiles et armes dont on avait
besoin en temps de siège.
Un de ces renfoncements contient un puits très profond et large
; un autre sert de cheminée. A gauche du couloir d'entrée
sont des latrines ; à droite, l'escalier qui monte jusqu'au faîte
du donjon. Cette salle était voûtée au moyen de douze
demi-arcs en quart de cercle, aboutissant à une clef énorme
percée d'un oeil(1)5, afin de
permettre aux hommes postés dans l'étage supérieur de
donner ou de recevoir des ordres. Ces arcs sont portés sur des chapiteaux
en culs-de-lampe sculptés, avec figures. Deux fenêtres percées
à une grande hauteur éclairaient ce rez-de-chaussée,
et quoique la salle dût être assez sombre, elle était
intérieurement décorée de peintures.
Le premier étage présentait la même disposition
en plan, et était voûté de la même manière.
La salle contenait, outre la cheminée, un four à cuire le
pain ; elle était éclairée par trois fenêtres,
et était mise en communication avec la chemise au moyen d'une petite
porte et d'un pont volant de bois, dont on voit encore les scellements.
A l'époque des reconstructions partielles du château, c'est-à-dire
au commencement du XVe siècle, on pratiqua un petit réduit
sous une des fenêtres, ayant une entrée détournée
dans la salle, et une ouverture au dehors. Des latrines sont disposées
à cet étage au-dessus de celles du rez-de-chaussée.
Le second étage, couvert en partie par des voûtes en
berceau, en partie par une voûte en arcs ogives à douze pans,
présente une disposition fort belle et bien conçue : c'est
une grande salle entourée d'un portique, dont le sol est élevé
de trois mètres au-dessus du pavé. Des balcons de bois, dont
la trace est partout évidente, permettaient de s'avancer jusqu'à
la circonférence intérieure formée par les têtes
des piles. C'était là qu'on réunissait toute la garnison,
lorsqu'il fallait donner des ordres généraux. Douze ou quinze
cents hommes armés pouvaient facilement, grâce à ce
portique et à ces balcons, se tenir dans cette immense rotonde et
entendre ce qui se disait au centre. Il n'est guère de monuments,
soit de l'époque romaine, soit modernes, qui présentent un
aspect à la fois plus grandiose et plus puissant.
Nous essayons d'en donner une faible idée dans la figure 2.
Qu'on se représente par la pensée un millier d'hommes
d'armes réunis dans cette rotonde et son portique disposé
comme les loges d'une salle de spectacle ; des jours rares éclairant
cette foule ; au centre, le châtelain donnant ses ordres, pendant
qu'on s'empresse de monter, au moyen d'un treuil, des armes et des projectiles
à travers les oeils des voûtes. Ou encore, la nuit, quelques
lampes accrochées aux parois du portique, la garnison sommeillant
ou causant dans ce vaste réservoir d'hommes ; qu'on écoute
les bruits du dehors qui arrivent par l'oeil central de la voûte, l'appel
aux armes, les pas précipités des défenseurs sur les
hourds de bois, certes on se peindra une scène d'une singulière
grandeur. Si loin que puisse aller l'imagination des romanciers ou des historiens
chercheurs de la couleur locale, elle leur représentera difficilement
ce que la vue de ces monuments si grands et si simples dans leurs dispositions
rend intelligible au premier coup d'oeil. Aussi conseillons-nous à
tous ceux qui aiment à vivre quelquefois dans le passé d'aller
voir le donjon de Coucy ; car rien ne peint mieux la féodalité
dans sa puissance, ses moeurs, sa vie toute guerrière, que cet admirable
débris du château d'Enguerrand.
En montant toujours par l'escalier à vis, on arrive
au dernier étage, qui est crénelé. Une couverture
de plomb protégeait les voûtes et formait une plate-forme
en pavillon ; à l'entour, un large chemin de ronde permet de circuler
librement et d'arriver aux créneaux. Les écoulements d'eau,
bien ménagés dans les reins de chacune des voûtes du
portique, ne peuvent laisser douter que cet étage n'ait toujours
été laissé à ciel ouvert, ainsi que l'indique
la gravure de du Cerceau; cependant, en temps de guerre, de grands hourds
à double étage étaient posés sur les corbeaux
de pierre qui existent en contre-bas du crénelage. La figure 4 présente
une portion de ces hourds posés. On voit apparaître au sommet
du donjon de Coucy la transition des hourds de bois aux mâchicoulis
de pierre. En effet, pour un ouvrage aussi puissamment conçu et exécuté,
les hourds portés sur des solives en bascule ne devaient pas paraître
une défense assez durable. Ce système de hourds portés
sur des consoles de pierre est appliqué non seulement au donjon de Coucy, mais aussi aux tours du château(1)6. Les dispositions défensives de Coucy
n'attirent pas seules l'attention de l'archéologue ; le donjon présente
des fragments de sculptures d'une grande beauté.
Voici par quel procédé le donjon de Coucy
dut être élevé. La construction fut conduite en spirale,
de la base au sommet, au moyen d'un échafaudage dressé en même
temps que les maçonneries s'élevaient ; cet échafaud
formait ainsi en dehors du parement extérieur un chemin incliné
qui permettait de rouler sans difficulté les plus grosses pierres
jusqu'au faîte. Les trous carrés des boulins de ces échafauds
et des liens qui empêchaient leur bascule son visibles et régulièrement
disposés au pourtour de l'énorme cylindre. Il est impossible
d'employer un procédé à la fois plus simple et plus
ingénieux pour bâtir rapidement, et sans frais inutiles, une
aussi grosse tour. Aujourd'hui les voûtes des trois étages
sont crevées, et le glacis supérieur ainsi que les quatre
pinacles qui couronnaient la corniche n'existent plus. Ce couronnement nous
est indiqué par du Cerceau, dans son livre : Les plus excellens
bastimens de France. On a trouvé quelques morceaux de ce glacis
et des pinacles dans le fond du fossé. Toute la maçonnerie
était chaînée au moyen de longrines de bois de 0m,
20 à Om, 30 d'équarrissage, noyées dans
l'épaisseur des murs, suivant la méthode encore en usage au
XIIe siècle. Au-dessus des voûtes du premier et
du second étage, ce chaînage se reliait à des enrayures
également de bois.
Vers 1400, la grande salle et les bâtiments d'habitation M (voyez
la figure 1) furent reconstruits, ainsi que les étages supérieurs
de la porte, par Louis d'Orléans, qui avait acquis ce domaine de
la dernière descendante des Coucy(1)7
; des jours plus larges furent percés à l'extérieur,
et les courtines reçurent des mâchicoulis avec parapets de
pierre, suivant la méthode du temps, au lieu de consoles avec hourds
de bois. Les autres parties du château restèrent telles qu'Enguerrand
III les avait laissées.
Ce ne fut que pendant tes troubles de la Fronde que cette magnifique
résidence seigneuriale fut entièrement ravagée.
Son gouverneur, nommé Hébert, fut sommé par le
cardinal Mazarin de rendre la place entre les mains du maréchal
d'Estrées, gouverneur de Laon.
Hébert ayant résisté à cette sommation
en prétextant d'ordres contraires laissés par le roi Louis
XIII, le siège fut mis, le 10 mai 1652, devant la ville, qui fut bientôt
prise ; puis, quelque temps après, la garnison du château capitula.
Le cardinal Mazarin fit immédiatement démanteler la
place. Le sieur Metezeau, fils de l'ingénieur qui construisit la
digue de la Rochelle, fut celui que le cardinal envoya à Coucy pour
consommer cette oeuvre de destruction.
Au moyen de la mine, il fit sauter la partie antérieure de
la chemise, ainsi que les voûtes du donjon et la plupart de celles
des autres tours, il incendia les bâtiments du château et le
rendit inhabitable.
Depuis lors les gens de Coucy, jusqu'à ces derniers temps,
ne cessèrent de prendre dans l'enceinte du château les pierres
dont ils avaient besoin pour la construction de leurs maisons, et cette destruction
prolongée compléta l'oeuvre de Mazarin.
Cependant, malgré ces causes de ruine, la masse du château
de Coucy est encore debout et est restée une des plus imposantes
merveilles de l'époque féodale. Si l'on eût laissé
au temps seul la tâche de dégrader la résidence seigneuriale
des sires de Coucy, nous verrions encore aujourd'hui ces énormes constructions
dans toute leur splendeur primitive, car les matériaux, d'une excellente
qualité, n'ont subi aucune altération ; les bâtisses
étaient conçues de manière à durer éternellement,
et les peintures intérieures, dans les endroits abrités, sont
aussi fraîches que si elles venaient d'être faites.
Autant qu'on peut le reconnaître en examinant les substructions,
le château de Coucy est traversé dans ses fondations par de
nombreux et vastes souterrains, qui semblent avoir été systématiquement
disposés pour établir des communications cachées entre
tous les points de la défense intérieure et les dehors.
La tradition va même jusqu'à prétendre qu'un de
ces souterrains, dont l'entrée se voit dans les grandes caves, sous
les bâtiments d'habitation M, se dirigeait, à travers les
coteaux et les vallées, jusqu'à l'abbaye de Prémontré.
Nous sommes loin de garantir le fait, d'autant plus que des légendes
semblables s'attachent aux ruines de tous les châteaux du moyen âge
en France ; mais il est certain que, de tous côtés, dans les
caves, on aperçoit des bouches de galeries voûtées qui
sont aujourd'hui remplies de décombres. Nous donnons (fig. 3) le
plan du premier étage du château de Coucy. On voit : en A,
les logis placés au-dessus de la porte d'entrée ; en B, le
donjon avec sa chemise ; en R, la chapelle orientée, conçue
et exécutée avec une grandeur sans pareille ? Si l'on en juge
par les fragments des meneaux des fenêtres qui jonchent le sol ; en
D, la grand'salle du tribunal, dite des Preux, parce qu'on voyait dans des
niches les statues des neuf Preux. Deux cheminées chauffaient
cette salle, largement éclairée à son extrémité
méridionale par une grande verrière ouverte dans le pignon.
Une charpente de bois avec berceau ogival lambrissé couvrait
cette salle. En E, la salle des neuf Preuses, dont les figures étaient
sculptées en ronde bosse sur le manteau de la cheminée. Du
Cerceau nous a conservé une gravure de cette cheminée, qui
se divisait en deux âtres séparés par un pilier, ainsi
que l'indique le plan. Un boudoir F, pris aux dépens de l'épaisseur
de la courtine, accompagnait la salle des Preuses. Cette pièce, éclairée
par une grande et large fenêtre donnant sur la campagne du côté
de Noyon, était certainement le lieu le plus agréable du château
; une petite cheminée la chauffait, et elle était voûtée
avec élégance par des voûtes d'arête.
Ces dernières bâtisses datent de la fin du
XIVe siècle ou du commencement du XVe. On voit
parfaitement comment elles furent incrustées dans les anciennes constructions
; comment, pour les rendre plus habitables, on suréleva les courtines
d'un étage : car, dans la construction primitive, ces courtines n'atteignaient
certainement pas un niveau aussi élevé, laissaient aux cinq
tours un commandement plus considérable, et les bâtiments d'habitation
avaient une beaucoup moins grande importance. Du temps d'Enguerrand III,
la véritable habitation du seigneur était le donjon ; mais quand
les moeurs féodales, de rudes qu'elles étaient, devinrent au
contraire, vers la fin du XIVe siècle, élégantes
et raffinées, ce donjon dut paraître fort triste, sombre et
incommode : le duc d'Orléans, devenu seigneur de Coucy, bâtit
alors ces élégantes constructions ouvertes sur la campagne,
et les fortifia suivant la méthode adoptée à cette époque.
Le donjon et sa chemise, les quatre tours d'angle, la partie inférieure
des courtines, le rez-de-chaussée de la porte d'entrée et
la chapelle ainsi que toute l'enceinte de la baille, appartiennent à
-la construction primitive du château de Coucy sous Enguerrand III.
Ces quatre tours méritent que nous en disions quelques mots.
Chaque chambre, à partir du rez-de-chaussée, se compose à
l'intérieur de six pans avec niches, dont quelques-unes sont percées
de meurtrières. Ces pièces sont voûtées, et les
niches se chevauchent à chaque étage, les pleins étant
au-dessus des vides, et vice versa ; ce qui était fait pour
voir tous les points du dehors, et surtout pour éviter les lézardes
verticales qui se produisent dans ces sortes de constructions, lorsque les
vides sont tous au-dessus les uns des autres. Des cheminées sont
pratiquées dans les salles, qui sont en outre accompagnées
de latrines. On remarquera que les escaliers à vis ne montent pas
de fond, mais s'interrompent à partir du premier étage pour
reprendre de l'autre côté de l'entrée de la tour.
C'est là une disposition souvent adoptée dans les tours
de cette époque, afin d'éviter les trahisons et de forcer
les personnes qui veulent monter sur les parapets de passer par l'une des
salles. C'était un moyen de rendre la surveillance facile, et de
reconnaître les gens de la garnison qui montaient aux chemins de ronde
pour le service ; car les parapets des courtines n'étaient accessibles
que par les tours, et les escaliers des tours desservaient par conséquent
toutes les défenses supérieures. Nous avons figuré
en G (fig. 3) le pont volant mettant en communication la grand'salle D avec
le chemin de ronde de la basse-cour du côté du sud. Si, par
escalade, l'ennemi s'était emparé du chemin de ronde H de la
chemise, il lui fallait forcer, soit porte I, soit la porte K, pour pénétrer
dans le château. Les postes établis en A ou en L le jetaient
par-dessus les parapets dans le fossé de la chemise. Le poste A servait
la terrasse crénelée M au-dessus de la porte, de même
que le poste L servait le chemin de ronde N commandant le pont volant G.
Quant à la garnison du donjon, du premier étage elle
pénétrait sur le chemin de ronde de la courtine par un pont
volant O, mais en passant par le corps de garde L. Avec des défenses
aussi bien entendues, il n'y avait pas de surprises à craindre, pour
peu que la garnison du château connût parfaitement ses nombreux
détours, les ressources qu'ils présentaient, et qu'elle prit
quelque soin de se garder.
Une vue cavalière restaurée, tracée
du côté de la basse-cour (fig. 4), fera comprendre les dispositions
intérieures et extérieures du château de Coucy.
Il faut reconnaître qu'un long séjour dans un château
de cette importance devait être assez triste, surtout avant les modifications
apportées au XVe siècle, modifications faites évidemment
avec l'intention de rendre l'habitation de cette résidence moins
fermée et plus commode.
La cour, ombragée par cet énorme donjon, entourée
de bâtiments élevés et d'un aspect sévère,
devait paraître étroite et sombre, ainsi qu'on peut en juger
par la vue présentée (fig.5) Tout est colossal dans cette
forteresse ; quoique exécutée avec grand soin, la construction
a quelque chose de rude et de sauvage qui rapetisse l'homme de notre temps.
Il semble que les habitants de cette demeure féodale devaient appartenir
à une race de géants, car tout ce qui tient à l'usage
habituel est à une échelle supérieure à celle
admise aujourd'hui : les marches des escaliers (nous parlons des constructions
du XIIIe siècle), les allèges des créneaux,
les bancs, sont faits pour des hommes d'une taille au-dessus de l'ordinaire.
Enguerrand III, seigneur puissant, de moeurs farouches, guerrier intrépide,
avait-il voulu en imposer par cette apparence de force extra-humaine, ou
avait-il composé sa garnison d'hommes d'élite ? C'est ce que
nous ne saurions décider ; mais en construisant son château,
il pensait certainement à le peupler de géants. Ce seigneur
avait toujours avec lui cinquante chevaliers, ce qui donnait un chiffre de
cinq cents hommes de guerre environ en temps ordinaire. Il ne fallait rien
moins qu'une garnison aussi nombreuse pour garder le château et la
basse-cour. Les caves et magasins immenses qui existent encore sous le rez-de-chaussée
des bâtiments du château permettaient d'entasser des vivres
pour plus d'une année, en supposant une garnison de mille hommes.
Au XIIIe siècle, un seigneur féodal, possesseur
d'une semblable forteresse et de richesses assez considérables pour
s'entourer d'un pareil nombre de gens d'armes, et pour leur fournir des
munitions et des vivres pendant un siège d'un an, pouvait défier
toutes les armées de son siècle : or le sire de Coucy n'était
pas le seul vassal du roi de France dont la puissance fût à
redouter.
Les successeurs du redoutable Enguerrand III, véritable type
du seigneur féodal, virent l'énorme puissance de leur aïeul
décliner entre leurs mains. Son fils Raoul II périt en Egypte,
à la bataille de Mansourah. Enguerrand VII, qui devint seigneur de
Coucy en 1344, fut envoyé en Angleterre comme otage de la rançon
du roi Jean, et à son retour se vit contraint d'accorder à
vingt-deux des bourgs et villages qui relevaient de son château une
charte collective d'affranchissement. Il mourut en 1396, en Bithynie. Ce
fut le dernier seigneur de la famille de Coucy. En 1400, Louis d'Orléans
acquit ce beau domaine moyennant quatre cent mille livres tournois. La terre
fut érigée en pairie pour lui, par le roi Charles VI, en 1404.
Louis d'Orléans, qui fit bâtir le château de Pierrefonds,
possédait ainsi entre Paris et la Flandre deux places d'une grande
importance. Ce fut lui qui, en l'espace de deux ou trois ans, fit reconstruire
en grande partie les bâtiments d'habitation du château de Coucy,
les grandes salles des Preux et des Preuses, et qui fit surélever
les anciennes courtines du temps d'Enguerrand III.
FIN.
19454 - Lib.-Imp. réunies, rue Mignon, 2.
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MAY et MOTTEROZ, directeurs
1 (1) Voyez Histoire de Coucy-le-Château, par M. Melleville Laon, 1848.
2 (1) Des fouilles récentes ont mis à découvert les premières assises de cette chapelle, construite au XIe siècle et restaurée à la fin du XIIe, ainsi que le prouvent les fragments retrouvés en place.
3 (2) C'est dans les bâtiments dépendant de cette porte que le seigneur de Coucy logeait le chapelain. On désignait ce bâtiment sous le nom de porte Maitre-Odon. (Voyez le Dictionnaire historique du département de l'Aisne, par M. Melleville, 1857.)
4 (1) Voyez du Cerceau : Les plus excellens bastimens de France.
5 (1) Une de ces clefs sert de margelle au puits de la place de la ville.
6 (1) A la porte de la ville de Coucy, dite porte de Laon, on voit encore des fragments de ces hourds de bois posés sur des corbeaux de pierre.