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Le dé

 

           Il est là, bien rangé, dans ma boîte à ouvrage,

           Un dé d'argent gravé, au dos un peu bossu,

           Je le reçus jadis, précieux héritage,

           D'une dame bien vieille, aujourd'hui disparue.

           

           Elle me montrait à coudre, et les points de feston

           Ourlaient, harmonieux, nos douces confidences ;

           Elle répondait d'avance à toutes mes questions,

           Ces secrètes angoisses qui obsèdent l'enfance.

           

           Elle me disait la vie, le sang des jeunes filles,

           Sans croiser mon regard, ménageant ma pudeur,

           Et le dé cliquetait quand s'y cognait l'aiguille,

           Ses arabesques folles me chaviraient le cœur.

           

           Elle rapiéçait pour moi, à grands points de piqûre,

           Ses accrocs de jeunesse, la fabrique et la guerre,

           Ses amours contrariées… J'en savais la blessure

           Aux rides surjetées à l'orée des yeux clairs.

           

           Les jours suivaient les jours sur le calendrier,

           Comme sur le rebord des draps de fine toile ;

           Le dé, tout ruisselant des soleils de juillet,

           Allumait en mon ciel de nouvelles étoiles.

           

           Ainsi, point après point, sans faux pli, je grandis,

           Brodant avec passion les roses de l'enfance,

           Je tricotais des songes en plein après-midi,

           Mieux que des mots, souvent, se tissaient des silences…

           

           Quand je chausse le dé pour quelque ravaudage,

           Elle m'apparaît, soudain, sortilège éphémère,

           Celle qui enchanta les débuts de mon âge,

           La dame au dé d'argent qui était ma grand-mère.

                                

Anick Baulard