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Résumé de la conférence du 4 mars 2010, 9h30-11h30 :

"1914-1918. La vie des civils autour du front et dans la zone occupée".

Institution du St Esprit, Lycée privé de Beauvais.

 

1914-1918- La vie des civils autour du front et dans la France occupée

 

Jean-Jacques Godfroid

Ancien Professeur des Universités,

Vice-président de « Mémoires du Chaunois »,

Membre de la Société Académique de Chauny.

 

Lazare PONTICELLI, le dernier poilu de la guerre 14-18, avait exprimé le vœu, pour son enterrement national, que le gouvernement rendit  hommage aux victimes civiles et militaires de la Grande guerre.

Pris par l’inclination de majorer la « mémoire militaire », attitude constante des gouvernants d’entre-deux guerres (1) et d’après-guerre 40-45, le Chef de l’État et Max GALLO vont oublier d’honorer la première partie de la demande du vieil homme pour n’exprimer que le sacrifice et la souffrance des soldats.

Pourtant les civils, pris dans l’étau de tous les conflits, sont toujours victimes des « effets collatéraux », comme l’expriment les militaires encore aujourd’hui. On les oublie d’autant plus qu’ils sont la mauvaise conscience des belligérants : massacres, viols, déportations, enfants illégitimes, boucliers humains, bombardements par les deux camps.

Si la Grande Guerre fut un immense cimetière pour les militaires, on oublie qu’une population française était enserrée dans un territoire occupé par les Allemands, limité à 10% de la France, là où se sont concentrées les batailles parmi les plus meurtrières du XXe siècle et là où s’est exercé le joug de l’occupation.

En gros on peut schématiser cette guerre en quatre phases qui auront des conséquences désastreuses pour les populations civiles. Nous y ajouterons la phase de retour des réfugiés et de la reconstruction.

I - L’offensive d’août 1914 depuis la Belgique jusqu’au front fixé après les batailles de la Marne et du Grand Couronné sera désastreuse et verra en trois semaines 6500 victimes exécutées sauvagement parmi la population civile dont 5000 en Belgique. C’est alors qu’un mouvement de fuite effrénée des populations belges -1 500 000- va déferler sur la Hollande et, à moindre titre, sur la G-B. Elle accompagnera aussi les habitants du nord et du nord-est de la France vers la zone non occupée. C’est suite à ces événements que le CICR (Comité International  de la Croix Rouge) va créer une agence de recherche pour faire face à ce déferlement qui prendra dès la fin 1914 une ampleur à la mesure de la tâche à accomplir.

C’était le début d’une guerre terroriste, attisée par une propagande haineuse des deux côtés.

II - 1915-1916 - L’enlisement des troupes dans les tranchées créera une zone occupée limitée en France, de la Mer du Nord à la Suisse sur une ligne d’environ 750 km, et enserrera la quasi-totalité de la Belgique. Ce temps d’occupation verra se développer les camps de travail obligatoire en zone occupée et de déportation en Allemagne ; on y ajoutera l’organisation de la famine, la ghettoïsation des villes et des villages, les humiliations –tout homme en possibilité de travailler portera un brassard rouge-, etc.

Tout ce qui pouvait être prémonitoire de la Seconde Guerre mondiale….

Cette phase de batailles meurtrières qui ne fera gagner que peu de terrain aux deux camps, va atteindre les civils des deux côtés du front, essentiellement par les bombardements de l’artillerie lourde, les zeppelins et déjà par l’aviation qui se développe très vite. La vie des civils en deviendra tellement intenable que certaines villes seront évacuées comme Verdun pendant la bataille du même nom. On y ajoutera Arras, Reims, Soissons, etc. côté Français et Noyon, Chauny, Saint-Quentin, etc. côté territoire occupé. 

III - 1917 - Si le front ne va toujours pas évoluer en dépit de batailles meurtrières (en Somme, Chemin des Dames, entre autres), le recul stratégique des Allemands sur la ligne Hindenburg, va utiliser la méthode de la « terre brûlée » ou plutôt la création d’un « royaume de la mort » comme l’écrivit un quotidien allemand. Cet épisode va toucher surtout le département de l’Aisne ; réquisition de toute la population, tri des personnes susceptibles de travailler, les autres laissés sur place, mise à sac des habitations qui seront ensuite dynamitées, destruction des vergers et des forêts, empoisonnement des puits, etc. Saint-Quentin, placé alors aux limites du front voulu par les Allemands, sera évacué en février-mars, soit 40 000 personnes en deux semaines, dans des conditions climatiques épouvantables, envoyées en camp de travail en Belgique ou dans le Nord-est occupé.

IV - 1918 - C’est le temps des offensives. L’armée allemande va enfoncer le front en plusieurs points sans pouvoir atteindre Paris. La contre-offensive des Alliés avec le renfort des soldats américains va être décisive, pour aller jusqu’à l’armistice de novembre.

D’une part, les offensives allemandes ont eu comme conséquence d’augmenter encore le nombre des déplacés. À la fin du conflit 2 000 000 de personnes auront été des réfugiés, soit près d’un habitant sur deux de la zone occupée ou voisine du front.

D’autre part, le recul des occupants sous les coups de butoir des Alliés va entraîner un autre drame : 250 000 civils devront suivre l’armée du IIe Reich en pleine débandade qui se servira d’eux comme bouclier humain, alors que l’ordre est donné aux troupes allemandes de tout détruire. À la fin de la guerre plus de 80% du patrimoine immobilier et industriel –les mines auront été inondées- seront dévastés dans le Nord et le Nord-est.

V - L’après-guerre -  Il est aisé d’imaginer les sentiments des réfugiés souvent mal aimés en zone libre –on les appellera « Boches du Nord »- quand ils regagnent leur terroir dévasté. Que penser du retour de ceux ou celles qui sortent des camps de travail ou de concentration ? La douleur qui a gagné toutes les familles françaises avec la perte d’un, voire plusieurs hommes de la famille morts au champ de bataille sans compter les blessés et gazés, va s’entrechoquer avec la découverte de leur patrimoine en ruines. Les morts subites, les dépressions et les suicides seront nombreux !

Ils seront indemnisés et ils reconstruiront ou feront construire leur habitation avec courage après avoir vécu dans des bâtiments provisoires en bois, en briques ou en tôle.

Ils n’auront pas la reconnaissance du poilu, ils ont été des « Boches » quelque part et ne pourront faire leur deuil de leur vécu douloureux. Les criminels de guerre allemands jugés par une   cours de justice -le tribunal de Leipzig- menée par des juges allemands seront tous acquittés. Les gouvernements occidentaux, pour ne pas gêner les démocrates allemands, n’insisteront pas devant la montée du nationalisme pangermanique qui s’est fait du refus de l’humiliation de la défaite son fond de commerce. Renoncement inutile puisqu’il n’empêchera pas Hitler de triompher.

De plus, les politiques français les inciteront à oublier. Par contre, en Belgique, où le nombre des victimes civiles (2) a dépassé celui des militaires, la mémoire est encore présente, surtout que les troupes allemandes y ont commis plusieurs « Oradour-sur-Glane » !

Il faudra attendre les années 90, 70 ans après, pour voir apparaître les premiers écrits d’historiens sur le sort des civils dans la zone occupée.

 

Notes

1. Georges Clémenceau écrira avec emphase : … La France agressée par l’Allemagne impériale retrouvait après avoir défendu son sol et ses valeurs « sa place dans le monde pour poursuivre sa course magnifique dans l’infini du progrès humain, autrefois soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’humanité, toujours soldat de l’idéal ». Quid du sacrifice des civils ?  

2.   Les victimes civiles et militaires, bilan.

Il est toujours difficile d’établir un bilan des victimes civiles par rapport aux militaires pour des raisons évidentes. Les chiffres font toujours l’objet de polémiques suivant le camp où l’on se trouve. Un article est paru récemment dans WIKIPEDIA, très bien référencé auprès d’organismes internationaux.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pertes_humaines_de_la_Premi%C3%A8re_Guerre_mondiale

L’adage selon lequel la Grande Guerre a été meurtrière principalement pour les militaires est battu en brèche avec les résultats suivants (arrondis):

Pertes militaires : 9 700 000 (21 300 000 blessés);

pertes civiles : 8 800 000;

Pertes totales : 18 600 000;

% total des pertes  : Empires Centraux - Civils : 22 ; militaires : 22;  

Entente - Civils : 20 ; militaires : 36;

Pertes civiles en France (sur 10% du territoire) : 300 000 pour 1 400 000 militaires;

Pertes civiles en Belgique : 62 000 pour 43 000 militaires.

 

4 mars 2010, Institution du St-Esprit, élèves de Première.

 

Photos de la conférence du10 mars 2010, 17h30 :

"Les Boches du Nord, victimes oubliées et humiliées de la Grande Guerre",

à l’IUTA de Saint-Quentin, antenne de l’Université Jules Verne d’Amiens, à l'INSSET, 48 rue Raspail.

Jean-Jacques GODFROID

et

Maryse TRANNOIS, vice-présidente de Généalogie-Aisne (responsable des personnalités et des maires et de la permanence de Laon),

secrétaire de l'IUTA de Saint-Quentin,

présidente de la Société Académique de Saint-Quentin.

"... Conservons la mémoire".

Une salle d'auditeurs avertis et passionnés.